A Aulnay-sous-Bois, le Nouvel an des salafistes au gymnase municipal

Dans cette ville de Seine-Saint-Denis, une association musulmane a invité des prédicateurs radicaux à intervenir devant plusieurs centaines de personnes le 31 décembre dernier. Une soirée qui s’est déroulée dans une salle prêtée par le maire LR Bruno Beschizza.

A Aulnay-sous-Bois, le 31 décembre 2015, il y avait ceux qui fêtaient la Saint-Sylvestre. Et puis ceux – environ 700 personnes, selon les organisateurs – qui participaient à une conférence organisée au gymnase de la Rose des vents. « Une soirée spéciale », indiquait assez mystérieusement l’affiche diffusée par l’Espérance musulmane de la jeunesse française (EMJF), l’association organisatrice, implantée à Aulnay depuis la fin des années 1990. Il est vrai que les trois intervenants invités étaient pour le moins « spéciaux », puisqu’il s’agissait de prédicateurs connus pour leurs positions radicales… Ils ont donc pu s’exprimer librement dans une salle municipale, avec la bénédiction de Bruno Beschizza, le maire Les Républicains, qui a gracieusement prêté le gymnase à l’EMJF.

L’auditoire a ainsi pu écouter Nader Abou Anas, un prédicateur dont il suffit de taper le nom sur YouTube pour constater que ses prêches sont assez peu progressistes. « La femme, elle ne sort de chez elle que par la permission de son mari », l’entend-on par exemple asséner dans une vidéo. « Qu’elle sache que les anges la maudissent toute la nuit dans le cas où elle se refuse à son mari sans raison valable. » Dans un autre sermon sur les dangers de « la fornication », il explique à son public qu’il est « haram » (interdit par l’islam) de serrer la main aux femmes. On comprend pourquoi sa présence au Salon de la femme musulmane de Pontoise, en septembre dernier, avait fait polémique. Mais Nader Abou Anas a d’autres domaines de spécialité. Comme la musique, ces « sifflements sataniques » qui « poussent à commettre l’adultère, au libertinage, à pervertir les mœurs », comme il l’affirme dans un autre prêche

« La liberté de l’Occident passe par le meurtre, par le biais de l’avortement. »

Le deuxième intervenant, Eric Younous, n’est pas non plus un habitué des nuances, par exemple lorsqu’il décrit « la conception de la femme selon l’Occident ». « La liberté, c’est de se balader à moitié nue dans les rues et n’être qu’un objet de tentation », s’insurge-t-il dans un prêche tenu au Gabon. Avant de soutenir, quelques minutes plus tard, que « la liberté de l’Occident passe par le meurtre, par le biais de l’avortement ». Fin 2013, lors d’un séminaire sur « l’identité du musulman », Eric Younous estimait aussi que le shabbat était « une punition qu’Allah a infligée aux juifs ». Des propos coupés au montage sur sa chaîne YouTube officielle, mais que l’on peut retrouver sans peine ailleurs.

Enfin, l’affiche de l’EMJF annonçait la présence d’un mystérieux « imam Mehdi d’Aubervilliers », dont le nom de famille n’était pas précisé. Après vérifications, il fait peu de doute qu’il s’agit d’un certain Mehdi Bouzid, qui exerce effectivement à la mosquée de la Fraternité d’Aubervilliers, perquisitionnée quelques jours après les attentats du 13 novembre. L’homme était un proche de Cherif Kouachi, l’un des deux auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo, comme il l’a reconnu en janvier 2015 sur la télévision britannique Channel 4. Des documents confidentiels de la préfecture de Seine-Saint-Denis révélés en novembre par Mediapart le décrivent comme « un prosélyte radical » qui « tient des discours pro-djihadistes ».

Est-ce pour ces raisons que son nom complet n’est pas mentionné sur l’affiche ? « Je ne connais pas son nom de famille, je le jure », affirme à Marianne Hassen Farsadou, le président de l’association EMJF, qui a organisé la soirée. On a du mal à le croire, d’autant qu’il martèle quelques secondes plus tard qu’il « connaît très bien » ce fameux « Mehdi d’Aubervillers »… « C’est un salafi, mais il est contre le djihad », assure-t-il. Selon nos informations, Mehdi Bouzid a fréquenté la filière dite des Buttes-Chaumont, qui acheminait des djihadistes en Irak. « Il est très provocateur », nous confie un ancien proche des frères Kouachi, qui rapporte toutefois que Bouzid s’est violemment disputé avec Cherif Kouachi après lui avoir déclaré qu’il ne se sentait « pas responsable de ce qui touche les musulmans dans le monde ».

Hassen Farsadou assure qu’aucun propos « pas correct » n’a été tenu lors de la soirée du 31 décembre. D’ailleurs, « tout était enregistré, on va les mettre en ligne », promet-il. Sur le fond, le patron de l’EMJF défend le bien-fondé de sa conférence, qui viserait justement à prévenir la radicalisation : « Il y a 50% de musulmans à Aulnay, dont beaucoup de jeunes. Si demain certains partent faire le djihad, on aura une responsabilité. Il faut les convaincre que c’est un grand péché de partir en Syrie. » Et pour cela, il compte sur des prédicateurs stars, quitte à fermer les yeux sur leur passif : « Je préfère inviter des conférenciers connus, même s’ils sont un peu radicaux sur certains points, du moment qu’ils sont anti-djihad. » Le reste, il s’en lave les mains : « Je ne suis pas un policier. Ce qu’ils disent, ce qu’ils pensent, ce n’est pas mon problème. S’il y a un problème, c’est l’Etat français qui doit s’en occuper. »

Le maire Bruno Beschizza affirme que des propos tenus dans une salle municipale ne relèvent pas de ses prérogatives.Contacté par Marianne, le maire Bruno Beschizza – pourtant connu pour ses positions très sécuritaires – n’est pas loin de dire la même chose. « Ce n’est pas à moi d’être un censeur au niveau des idées, sinon je ne prêterais pas de salle à l’opposition municipale comme je le fais régulièrement », se défend l’édile, qui assure en outre qu’il ne connaissait pas à l’avance le nom des intervenants. Cet ancien syndicaliste policier proche de Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé, qui a ravi la ville aux socialistes aux municipales de 2014, affirme de toute façon que la loi ne lui permet pas d’interdire ce type d’événement : « Il faut que l’Etat assume ses responsabilités. Les propos qui peuvent être tenus dans une salle ne relèvent pas des prérogatives du maire. » A la mairie, on souligne que l’EMJF a « respecté les procédures » de demande de prêt du gymnase. Tout en faisant valoir la vigilance de la municipalité face à d’éventuelles dérives. « En cas de doute, nous faisons systématiquement un signalement discret aux services de l’Etat », assure-t-on dans l’entourage de Bruno Beschizza, sans préciser si un tel signalement a eu lieu concernant la soirée du 31 décembre. Tout juste se borne-t-on à dire que « la réunion s’est déroulée normalement ».

L’épisode n’est pas anecdotique. Il illustre la difficile gestion des pressions communautaristes dans un nombre croissant de banlieues. A Aulnay, l’EMJF n’en est pas à son coup d’essai. Aux municipales de 2008, l’association a soutenu le socialiste Gérard Ségura, élu maire à l’époque. Puis, sur fond de tractations, les choses se sont gâtées. « Gérard Ségura m’avait promis de me vendre un terrain pour construire une grande mosquée, mais il l’a finalement octroyé à une autre association. Il m’a trahi », tempête Hassen Farsadou. Ce sont en effet les petits concurrents de l’Association culturelle des musulmans d’Aulnay (Acma) qui ont pu construire leur mosquée. L’EMJF a tout de même obtenu un terrain où elle compte bâtir une école privée musulmane. Ce qui ne l’a pas empêché de lâcher Gérard Ségura aux municipales de 2014.

« Le problème avec ces associations, c’est que si on leur dit non systématiquement, on les sort du cercle républicain. »« L’EMJF est une petite association politico-communautariste, qui se vend au plus offrant », pointe aujourd’hui l’ancien maire. « Ils ont une petite influence dans la vie locale, mais il est très difficile de mesurer leur impact électoral. » Gérard Ségura affirme avoir « rompu avec eux de manière très claire ». Son ex-adversaire Bruno Beschizza a un souvenir un peu différent : « Mon prédécesseur a énormément aidé cette association. » Mais c’est bien lui qui a bénéficié de leur soutien en 2014, ce qui lui a valu en janvier un communiqué de la section départemental du Front national s’interrogeant sur un « renvoi d’ascenseur » dans le prêt du gymnase.

« Il n’y a pas aucun pacte, aucun marchandage », balaie-t-on à la mairie d’Aulnay, tout en reconnaissant que la situation n’est pas simple. « Le problème avec ces associations, c’est que si on se cache les yeux et qu’on leur dit non systématiquement, on les sort du cercle républicain et ça peut partir dans tous les sens », confie un proche de Bruno Beschizza. Le maire prône donc le dialogue : « L’antidote, c’est de parler à tout le monde. » Y compris aux prédicateurs qui estiment que les femmes doivent rester à la maison ?

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