De plus en plus de députés s’agacent des méthodes pas toujours très amicales du Premier ministre et de son fidèle secrétaire d’Etat pour obtenir leur vote. Or, sur la réforme constitutionnelle cette semaine, la manière dure semble avoir touché ses limites…
Ils partirent quarante mais par un prompt renfort, se virent plus de cent en arrivant au vote. Quelque 119 députés socialistes ont finalement refusé de soutenir mercredi le projet de réforme constitutionnelle qui leur était présenté par le gouvernement. Bien au-delà, donc, de l’habituel périmètre des frondeurs, une quarantaine tout au plus dans leurs meilleurs jours. Le Premier ministre a eu beau se dire « satisfait » du résultat à la sortie de l’hémicycle, il y a comme un malaise lorsque plus de 40% du groupe majoritaire rejette un texte proposé par son propre camp. Surtout lorsque celui-ci procède de la volonté directe du président de la République, qui l’avait exprimée solennellement devant le Congrès après les attentats du 13 novembre. Un résultat qui reflète évidemment la gêne des socialistes sur ce boulet qu’a été le débat sur la déchéance de nationalité, ou sur l’idée même de toucher à la Constitution en réaction à des événements, fussent-ils éminemment dramatiques. C’est aussi la traduction d’une distance qu’il y a toujours eu entre ce chef de gouvernement — « monsieur « 5% », comme l’appelaient ses petits camarades après la primaire du PS en 2011 — et sa majorité.
C’est surtout l’échec d’une méthode impulsée par le Premier ministre et mise en œuvre par son fidèle Jean-Marie Le Guen, le secrétaire d’Etat chargé des Relations avec le Parlement. Loin de la diplomatie d’un Alain Vidalies, cet ex-soutien de Martine Aubry qui occupa durant 22 mois le poste avant lui, jusqu’au remaniement de mars 2014. Et ce, sans grand drame, alors même que les déceptions vis-à-vis de la politique menée par le gouvernement étaient déjà vives. Mais l’ambiance a changé, depuis, dans les couloirs de l’Assemblée. Car si le président de la République a réfuté, dans son interview jeudi soir, toute « caporalisation » de ses ministres, c’est peut-être justement parce que d’autres s’en occupent pour lui… En coulisses, de plus en plus nombreux sont justement les élus socialistes à utiliser le terme de « caporalistion » au sujet de… Manuel Valls.
Cette semaine, l’ex-ministre Benoît Hamon a ainsi dénoncé « des coups de fil de ministres ou de collaborateurs du président du groupe (Bruno Le Roux, ndlr) » aux plus récalcitrants des députés. Le frondeur Laurent Baumel a également confié à Médiapart qu' »ils ont utilisé des pressions classiques, violentes ». Même si lui, comme quasiment tous les frondeurs identifiés, ont été plutôt épargnés par ces pressions, puisque jugés irrécupérables. Mais d’autres, susceptibles de présenter un flanc plus fragile, ont été plus sollicités… « Certains députés d’ordinaire plutôt légitimistes se sont plaints devant moi d’avoir subi des appels très musclés », témoigne pour Marianne un député socialiste de l’ouest. « A la veille de chaque grand texte, c’est la même chose », abonde un socialiste de l’aile gauche. Un mode de fonctionnement qu’affectionnerait particulièrement Jean-Marie Le Guen, selon plusieurs témoignages.
Depuis son entrée au gouvernement, l’ancien vice-président de la Mnef (ancêtre de l’Unef) a d’ailleurs récolté des surnoms peu flatteurs dans les couloirs du palais Bourbon, le plus récurrent étant le titre de « ministre des tensions » avec le Parlement. Ou, pour les plus mélomanes, « Johnny », « à force d’allumer le feu »… « Ces pressions ont toujours existé, relativise un habitué des lieux, comme par exemple le ‘chantage à la circo’ (circonscription, ndlr), c’est-à-dire les menaces à peinevoilées sur la perte du soutien du parti à la prochaine élection… » « Mais Le Guen, c’est un bourrin », lâche un autre pour résumer ce qui change aujourd’hui.
Après presque deux ans à le pratiquer, rares sont les députés socialistes qui n’ont pas une anecdote à livrer sur les consultations parlementaires de l’ancien médecin. « Une fois, à La Rochelle, il m’est tombé dessus pour une petite phrase qui ne lui avait pas plue. Il m’a menacé en me disant qu’il fallait que je fasse attention à moi, que j’étais fragile« , se remémore ainsi un député d’Ile-de-France, un brin amusé. Un autre, au caractère bien trempé, se rappelle que la première fois, « cela s’est passé par téléphone et pas en face-à-face ; heureusement d’ailleurs, parce que sinon je ne suis pas sûr que l’on se serait arrêté aux mots ! » Un dernier se rappelle qu’en 2014, alors que Le Guen essayait de lui mettre la pression sur le vote d’un texte, il l’a carrément envoyé sur les roses, tout ministre qu’il était, par un simple mais très efficace : « Tu peux aller te faire foutre ! » Chaude ambiance. Mais tous non pas l’audace de réagir ainsi. Un frondeur se souvient que sur le pacte de responsabilité, « lors de la réunion le matin du scrutin, 70 députés envisageaient de s’abstenir. Au final, nous n’avons été que 41 : une trentaine ont cédé aux pressions ».
Deux ans plus tard, il faut croire néanmoins que cette caporalisation atteint ses limites. « Je pense que certains ont très mal perçu ces pressions. Surtout ceux qui d’habitude votaient tous les textes, quitte à manger un bout de leur chapeau. Mais cette fois, leur intime conviction les empêchait de voter la réforme constitutionnelle. Et là, les coups de fil menaçants ou les discussions musclées ont eu l’effet inverse : cela les a confortés dans le vote contre ou l’abstention », analyse un député socialiste. Un autre, plus cynique, estime qu’à « seize mois de la fin (sic), on y échappe plus facilement, quitte à couper son portable ou à ne pas répondre ». Quand à la purge à laquelle s’était essayé Bruno Le Roux en 2014, consistant à retirer des postes aux plus rétifs, pas sûr qu’elle soit réutilisée de sitôt. La méthode laisse trop de traces…
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