De Moscou à Amsterdam en passant par Londres et Zagreb, la réalisatrice croate Tatjana Božić interroge ses ex : « Qu’est-ce qui n’a pas marché entre nous ? ». Filmant son propre road-movie sentimental, explorant ses contradictions sans ménagement mais toujours avec humour, la réalisatrice croate livre une réflexion passionnante sur l’épouvantable galère des relations sentimentales entre les hommes et les femmes.
Tatjana est intelligente et talentueuse, drôle et indépendante. Elle promène sa chevelure rousse et son accent croate un peu partout en Europe, au gré de ses aventures professionnelles et sentimentales. L’autre caractéristique de Tatjana, c’est qu’elle finit toujours par se faire larguer par ses amants.
Tatjana Božić, qui réalise ici son premier long-métrage, est un exemple d’un mystère répandu, mais toujours opaque : celui des femmes géniales, mais seules. Elle pourrait s’en foutre, cette solitude pourrait même être l’effet d’une décision parfaitement assumée. Mais elle ne s’en fout pas ; ça la torture, même. Suite à une énième rupture, et après les pleurs et les lamentations d’usage, elle décide de comprendre les raisons de l’échec. Mais de le faire très sérieusement, avec rigueur et minutie, comme quelqu’un qui voudrait réaliser un documentaire. A force d’enquête et d’entretiens, c’est bien à cela qu’elle aboutit : un « documentaire autobiographique » qui « sonde les moindres reflets de [son] âme », selon ses termes.
« Au moment où je tombe amoureuse, je deviens quelqu’un d’autre »
Armée de la caméra qui l’accompagne depuis toujours, Tatjana rend visite à ses ex, partout en Europe. Elle filme les retrouvailles. Vingt ans qu’elle n’avait vu Pavel, son amour de jeunesse. Il vit avec une femme qui porte le même prénom qu’elle, aussi blonde qu’elle est rousse. Ils picolent, se marrent, passent la nuit à discuter. Dans ses archives, Tatjana retrouve quantité de photos et de films qui racontent ses romances. Elle tisse passé et présent, se remémore des événements marquants… Pas nécessairement pour tout le monde. L’Anglais, par exemple, a complètement oublié qu’il l’avait demandée en mariage quelques décennies plus tôt. « Je suis une femme émancipée, épanouie et indépendante… quand je suis seule, explique Božić. Au moment même où je tombe amoureuse et où je commence une relation, je deviens quelqu’un d’autre ». Au point d’être capable de plaquer toute vie sociale et professionnelle pour emboîter le pas à un amoureux, par exemple.
La force de Tatjana tient dans sa démarche, par essence baignée d’autodérision, mais aussi dans le fait qu’elle saisit avec autant de subtilité que d’humour un moment historique dans les relations sentimentales entre hommes et femmes. Ce moment où l’émancipation des unes est un peu mieux admise, mais où rien, mais rien, ne va encore de soi. Où tout est à construire entre deux être autonomes qui essayent de marcher côte à côte. Tatjana Božić filme une révolution intime, sociétale, civilisationnelle. Rien de moins !
Happily ever after n’est pas un conte de fées à l’envers ; on n’en sort pas déprimé, bien au contraire. On en tire en revanche la certitude qu’il faut de toute urgence reconfigurer notre idée de l’ « échec » : cette succession de rencontres et de portraits inspire tout sauf de la compassion. Le film brosse plutôt une vie sentimentale particulièrement riche, émaillée de rencontres tellement fortes qu’elles autorisent de se revoir vingt ans plus tard en riant autour une bière. Pour l’occasion, et devant la désarmante sincérité de Tatjana, chacun baisse la garde, et accepte d’interrompre momentanément le grand cirque des jalousies, rancœurs et regrets. Tatjana enlace l’épouse de Pavel, qui, en retour, confesse que son mariage n’est pas un cadeau tous les jours. Ici, les femmes ne jouent pas les unes contre les autres, pas plus qu’elles ne jouent contre les hommes… On avait failli oublier.
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