Laurent Fabius veut réunir une conférence internationale pour trouver une solution à l’impasse israélo-palestinienne. En cas d’échec, la France reconnaîtra l’Etat de Palestine. Des initiatives spectaculaires mais qui occultent complètement la réalité du terrain.
C’est le mot magique : conférence internationale. Qui n’aurait envie d’y souscrire ? L’opinion française est lasse du conflit israélo-palestinien mais aussi dangereusement travaillée par ceux qui le manipulent. Laurent Fabius, en proposant de conférer – ce qui constitue, dans l’absolu, une bonne chose – semble vouloir fournir de l’oxygène à une situation anxiogène, pas seulement sur la minuscule et brûlante bande de terre moyen-orientale, mais dans les frontières de l’hexagone, pour les communautés, les partis, les causes qui claquent et les mots qui tuent. Après tout, réunir les ennemis autour d’une table, sous la houlette d’intermédiaires puissants et bien intentionnés, c’est le but final de la diplomatie.
Hélas, en cette affaire, il y a un hic. Et même plusieurs. D’abord, l’annonce de la conférence commence sur un ultimatum : en cas d’échec, Laurent Fabius annonce que la France reconnaîtra l’Etat de Palestine. Autrement dit, l’ouverture du dialogue aux uns et aux autres démarre par une fermeture à l’un plus qu’à l’autre. Qui croyez-vous que cette annonce conforte ? Bien entendu le gouvernement israélien, lequel ne peut se saisir d’une proposition ainsi formulée et minée !
Le gouvernement israélien ne peut se saisir d’une proposition ainsi minée !
Si le Quai d’Orsay avait voulu pulvériser par avance toute possibilité de reprise des négociations, il ne s’y serait pas pris autrement. Non seulement, Benyamin Netanyahou n’y est absolument pas favorable dans le contexte de la guerre des couteaux mais même l’opposition israélienne est scandalisée par l’ultimatum français. Même chez les militants européens du camp de la paix, c’est l’embarras, voire la désolation. Le réseau juif européen pour la paix, J.Call, partisan de la solution à deux Etats, de la restitution des territoires, des luttes pour les droits des Palestiniens, réagit en ces termes :
« L’éventualité annoncée, dès le départ, en cas d’échec de cette initiative, que la France reconnaisse l’Etat de Palestine, n’est certainement pas le meilleur moyen d’encourager les Israéliens à adhérer à ce projet « .
J.Call approuve néanmoins, pour la forme, la tenue de la conférence. Mais le cœur lourd.
Second problème : l’impréparation préoccupante de la Conférence. De celle de Madrid en 1991 à celle d’Anapolis en 2007, « c’est un travail d’Hercule qui précède la réunion ! » se souvient un ancien diplomate israélien qui fut au cœur de ces rencontres et joua un rôle important dans les accords d’Oslo, aujourd’hui hélas frappés à mort. Chaque mot, chaque référence, chaque invitation, chaque parrainage comptent. Mais qui pourrait comparer le Moyen-Orient des années 1990 à celui d’aujourd’hui ? Laurent Fabius, qui quittera prochainement son poste de ministre des Affaires étrangères, joue la montre dans un moment oriental dévasté. A supposer que des engagements puissent être pris, qui pourrait les appliquer du côté palestinien ? Rappelons les faits que les experts et les diplomates les mieux informés semblent vouloir nous faire oublier.
Il y a aujourd’hui deux Palestine, sinon plus.
Il y a aujourd’hui deux Palestine, sinon plus. Gaza est sous le contrôle du Hamas (concurrencé par Daech) et les zones dites palestiniennes de Cisjordanie sous le contrôle très partiel de l’Autorité de Mahmoud Abbas. Lequel se voit délégitimé par le Hamas. Précisément : le Hamas sera-t-il invité à la Conférence ? Lors des précédentes conférences sur le conflit, l’organisation islamiste s’était lancée dans une série d’attentats pour torpiller les négociations.
Ensuite, de quels soutiens réels pourront bénéficier les Palestiniens ? Nous ne parlons pas des soutiens diplomatiques qui s’amoncellent – la Suède et bientôt une grande partie de l’Europe, la bienveillance américaine – mais des engagements précis, matériels, concrets sans lesquels un Etat de Palestine ne sera pas viable. Quelles garanties pourra lui offrir un monde arabe en pleine désintégration ? L’Egypte ? Mais elle combat l’Etat islamique dans le Sinaï et redoute la pénétration de Daech à sa frontière Gazaoui ! La Jordanie ? Palestinienne à 70%, arc-boutée sur la fidélité des Bédouins à la monarchie, voisine de l’Irak et de la Syrie, elle est hantée par la déstabilisation islamiste dans ses profondeurs. L’Arabie Saoudite, le Qatar ? Leur lyrisme déclamatoire ne peut masquer les doubles jeux de ces troubles mécènes idéologiques.
Descendons encore plus profondément dans le sol cruel du réel. Le Hamas persiste – le dit et le montre – à creuser des tunnels « pour libérer Al Quds », Jérusalem. La manne donnée aux institutions palestiniennes ne parvient guère au peuple mais à ceux qui détournent son espoir. Pauvre espoir palestinien : d’un côté un Israël qui ne cèdera rien car la délégitimation internationale de l’Etat hébreu renforce les ultras au pouvoir, de l’autre des leaders palestiniens irresponsables qui prêchent un quasi-suicide. Les rares voix arabes qui s’élèvent à Ramallah et à Jérusalem pour appeler la jeunesse à un mode d’action pacifique, légitime, sont totalement étouffées. Il y a plus de six mois, avant même que ne commencent les agressions au couteau et à la voiture bélier, Saman Khoury, président du Forum des associations pour la paix, nous livrait son inquiétude face à l’avancée du fanatisme dans un peuple palestinien livré au pire.
De l’autre côté, comment modifier les choix de la majorité de l’opinion israélienne ? Il est absolument faux d’affirmer qu’elle s’aligne sur une poignée de jeunes ultra-violents des territoires : les voix les plus diverses ont rejeté avec horreur le crime commis contre une famille palestinienne, brûlée avec son bébé dans l’incendie de sa maison, le 31 juillet dernier. Freddy Eytan, ancien diplomate et supporter de Netanyahou, écrivait ainsi : « Ces images bouleversent les esprits et plongent la société israélienne dans le mépris et la honte collective ». Il serait néanmoins angélique de ne pas reconnaître l’emprise de la droite sur un peuple forcé de porter les armes génération après génération, sensible dans ses marges aux sirènes d’un nouveau mac-carthysme – le haro sinistre lancé contre les intellectuels et les artistes de gauche par une association décervelée – et poussé dans les retranchements de la solitude par une condamnation internationale univoque.
De ces faits qui caractérisent autant les deux peuples que la région dans laquelle se déroule leur tragédie, l’initiative de Laurent Fabius semble ne pas tenir compte. Il aurait été plus efficace, loin de ce coup d’éclat à la stérilité programmée, de conjuguer à la fois les pressions sur Israël et sur l’Autorité palestinienne pour que Mahmoud Abbas cesse de faire des martyrs des ados armés de poignards.
Suspendue dans les limbes d’un ciel diplomatique vide, l’annonce de la conférence et de son issue en cas d’échec serait-elle par hasard à visée intérieure, plus hexagonale qu’internationale dans la perspective de la présidentielle de 2017 ? Pauvre Palestine, éternel alibi.
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