Alors que s’ouvrent à Genève, sous l’égide de l’ONU, les négociations pour la paix en Syrie, les représentants kurdes ont été priés de rester à la porte. Alors même que des représentants de groupes proches du Front Al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda, participent aux discussions.
Liaisons dangereuses. Les négociations qui se sont ouvertes ce lundi à Genève sur l’avenir de la Syrie démontrent toute l’ambiguïté, voire l’absurdité de la diplomatie occidentale sur le dossier. Comme le pointe le Canard enchaîné dans son édition du 3 février, alors que deux représentants des rebelles armés de Jaich al-Islam et Ahrar al-Cham, groupes proches du Front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda, seront présents lors de ces discussions, les différentes formations kurdes ont été priées de rester à la porte. Si le chef de la diplomatie Russe, Sergueï Lavrov – qui a donné son feu vert à leur présence – a précisé en marge d’un voyage à Abu Dhabi, que ces deux représentants n’étaient là qu’à « titre personnel » et n’étaient pas considérés comme « des partenaires dans les négociations », le tableau reste édifiant.
Alors que les Kurdes dans leur diversité obtiennent de nombreuses victoires contre Daech sur le champ de bataille et alors que le FDS (Forces Démocratiques Syriennes) créé en octobre 2015 sous l’impulsion des Kurdes de Syrie – et qui rassemble des Kurdes, des rebelles arabes de l’ASL (Armée syrienne libre) ou de milices chrétiennes – est soutenu activement par Washington et Paris qui lui envoient du matériel (missiles, munitions) et des formateurs sur le terrain, nulle trace de leurs représentants. Une mise à l’écart exigée selon le Palmipède par la Turquie et l’Arabie Saoudite. Une diplomatie du pire alors même que le doute persiste toujours sur les liens entretenus par ces deux « partenaires » avec Daech.
Pourtant comme l’expliquait récemment Gérard Chaliand, auteur de La question Kurde à l’heure de Daech, dans un entretien accordé à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques, les Kurdes de Syrie « qui se sont auto-organisés en proto-Etat, avec parlement, représentation de minorités (…) se présentent aujourd’hui comme la force la mieux organisée du point de vue militaire de l’ensemble kurde. Kobané a été à cet égard emblématique (…) ces Kurdes de Syrie ont renversé le rapport des forces au nord de la région et ont mis en échec les forces de Daech ». Dans un récent entretien publié dans l‘Humanité, Nasrin Abdallah, commandante en chef des YPJ, les unités de combattantes kurdes au Rojava (Syrie), fait l’état des lieux de la situation en Syrie :
« Nous avons 600 kilomètres de frontière avec la Turquie et celle-ci est une menace très importante pour nous. Nous avons réussi à prendre le contrôle de 510 kilomètres de frontière et il ne nous en reste plus que 90, dans la région d’Azaz et Jalabus. La Turquie a fermé toute cette frontière, l’occupe des deux côtés pour nous empêcher d’en prendre le contrôle. Si nous réussissons à reprendre ces 90 kilomètres, Daech sera complètement étouffé, il ne pourra plus respirer. Car c’est le seul endroit où il arrive à bouger, à passer en Turquie ou à faire venir des troupes et du matériel. »
Des conquêtes sur le terrain qui permettraient de prendre en étau les forces de Daech.
Des alliés précieux donc, sur le terrain, que les diplomaties française et américaine tentent de cacher sur la scène internationale. La faute à Erdogan, ou plutôt à ceux qui lui cèdent.
Tragique parallèle, alors que Jaich al-Islam et Ahrar al-Cham, considérés comme des « islamistes modérés » qui ont un temps copiné avec Daech – ils leur avaient ouvert les portes de Raqqa en 2013 avant de se faire trahir par ces derniers – ont leurs ronds de serviette à Genève, ces groupes sont en guerre ouverte avec les Kurdes de Syrie sur le terrain. » Dans le canton et la ville éponyme d’Afrin (ouest du Rojava), la situation est beaucoup plus difficile et instable. Comme à Kobané, l’an dernier, nous sommes attaqués sur quatre fronts, par tous les groupes terroristes : le Front al-Nosra, Jaich al-islam, Ahrar al-Sham… et d’autres groupes armés. Nous sommes constamment sous la menace de leurs assauts contre la ville, qu’ils tentent de prendre », explique ainsi Nasrin Abdallah.
Un jeu de dupes qui pourrait bien se retourner un jour contre les forces occidentales comme l’ont démontré les fâcheuses péripéties d’un récent programme mené par l’armée américaine. Lancé début 2015, il devait former et équiper quelque 5.000 Syriens par an sur trois ans pour venir renforcer les rangs des rebelles. Résultat des courses, le commandement des forces américaines au Moyen-Orient a annoncé en septembre dernier, un brin gêné, la prochaine réforme du programme. Et pour cause, les premiers rebelles syriens, tout juste sortis de la formation, avaient, à peine posé le pied sur le sol Syrien, remis une partie de leur équipement et munitions fournis par les Etats-Unis… au Front al-Nosra.
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