Télévision : le renouvellement n'est pas le jeunisme!

Dans un pays où l’on grogne parce que l’âge de la retraite vient d’être reporté à 62 ans, dans un pays où l’on se moque de l’âge avancé des hommes politiques, dans un pays qui s’extasie surtout devant la jeunesse, politique et culturelle, des autres pays de l’Europe, comment ne pas applaudir à la mise à la retraite des présentateurs de plus de 65 ans ?

« C’est de la dictature ! Viré du jour au lendemain, genre : la sortie, c’est par-là. Je lui ai quand même donné vingt-sept ans de ma vie. Je suis en pleine forme, tout va bien. Ai-je l’air d’un vieillard ? » C’était le 8 janvier dernier, dans une librairie du Blanc-Mesnil, en pleine séance de dédicaces. Julien Lepers, qui était resté très discret dans la presse, avait donc décidé d’être plus disert et plus en colère devant ses lecteurs. Le présentateur vedette de « Questions pour un champion » animera en effet sa dernière émission le 20 février. Ainsi en a décidé la nouvelle direction de France 2. Mais, comme cette émission a déjà été enregistrée il y a plusieurs semaines, il sera impossible à Lepers de saluer une dernière fois ses télé-spectateurs (1,4 million en moyenne). Sur les réseaux sociaux, l’animateur, âgé de 66 ans, notait amèrement, il y a quelques jours : « Grande tristesse de devoir quitter cette émission sans avoir pu saluer les équipes, le public et les téléspectateurs. A très bientôt ! »

Sur la forme, il y aurait bien sûr beaucoup à redire, et les manières des dirigeants de France Télévisions, peuvent paraître un peu rudes. On ne remercie pas un très bon présentateur télé sans le remercier, justement. Mais que reprocher, sur le fond, à cette décision ? Julien Lepers manquera à beaucoup d’entre nous. On aime sa douce folie, ses gestes brusques, et ses fiches jaunes qu’il envoie valser à tout bout de champ. On aime jusqu’à ses blagues qui tombent à plat, et jusqu’aux cadeaux ridicules qu’il offre aux gagnants de son émission ! Mais aucune émission n’appartient à son présentateur. On aime Julien Lepers : on sait qu’on aimera aussi son successeur, ne serait-ce que parce qu’il aura le courage de passer après quelqu’un qu’on aime.

DATES DE PÉREMPTION ?

Mais voilà : sitôt la nouvelle tombée, des voix se sont élevées pour critiquer cette mise à la retraite. Des voix célèbres, comme celle de Michel Drucker. L’animateur, âgé de 73 ans, a ainsi mélangé diagnostic à la petite semaine et sociologie pour les nuls : « Quelqu’un a dit à Jacques Martin qu’il devait partir et former un jeune. Six mois après, il a fait un AVC et ne s’en est jamais remis… Ce n’est pas la seule raison, mais elle n’y est pas étrangère. Le jeunisme et le racisme de l’âge, je les ai déjà vus passer. Rajeunir, tous les patrons ont voulu le faire ! La seule chose, c’est que les seniors ont aussi besoin d’un repère. » A la fin de l’entretien, le Narcisse de nos dimanches est tout de même revenu à ce qui l’intéressait le plus : lui. « Si je pouvais être le dernier des seniors, je ne serais pas mécontent. » « Jeunisme » ; « racisme de l’âge » ! Rien de moins ! Même contresens et même instinct de survie chez Patrick Sébastien : « Il se trouve qu’en ce moment il y a une sorte de chasse… On a des dates de péremption. Nos téléspectateurs n’en ont pas, mais il y a peut-être une nouvelle mode dans notre maison qui consiste à jeter les vieux. »

Quand on sait que le successeur de Julien Lepers se nomme Samuel Etienne, et qu’il a 45 ans (dont vingt-deux ans dans les médias), on trouve ces remarques assez vaines. On s’étonne surtout de la confusion qu’entretiennent nos deux présentateurs entre le jeunisme, évidemment ridicule, et le renouvellement normal de personnalités télévisuelles. Dans un pays où l’on grogne parce que l’âge de la retraite vient d’être reporté à 62 ans, dans un pays où l’on se moque de l’âge avancé des hommes politiques, dans un pays qui s’extasie surtout devant la jeunesse, politique et culturelle, des autres pays de l’Europe, comment ne pas applaudir à la mise à la retraite des présentateurs de plus de 65 ans ? Voici la vérité : on ne peut constamment exhorter au renouvellement des élites politiques et grincer des dents devant le renouvellement des élites télévisuelles. Ce serait absurde. Ce serait incohérent. William Leymergie a 68 ans. Dave a 71 ans. Drucker, 73 ans. Serait-ce irrespectueux de poser la question de leur prochain départ ? Est-ce qu’on insulte un ouvrier, un artisan, un fonctionnaire lorsqu’on lui parle de sa retraite et qu’il y a enfin droit ? On ne voit pas bien en quoi le métier de « présentateur télé » serait si différent de ces métiers-là.

« Mais ils font de l’audience ! » « Mais les téléspectateurs les réclament ! » On connaît cette défense-là, qui semble imparable. Michel Drucker, il y a trois ans : « Il n’y a pas de retraite dans nos métiers. Ce sont les téléspectateurs qui décident si nous devons continuer ou pas. Pour ça, ils ont une arme imparable, la télécommande. Le jour où la majorité zappera mes émissions, je comprendrai alors qu’il faudra passer le relais à la nouvelle génération. Je pense que le moment n’est pas encore venu ! » Et Jean-Pierre Pernaut, il y a quelques mois : « Pourquoi voulez-vous que je prenne ma retraite ? J’ai 65 ans et l’âge de la retraite dans plein de pays, c’est 70 ans. Je me sens jeune et dynamique, j’ai la passion pour ce journal, je pense plaire aux téléspectateurs, le patron de TF1 me fait confiance. » A ces deux millionnaires qui manquent de courage et de générosité, voici ce qu’il faut répondre : vous êtes, il est vrai, encore jeunes et dynamiques. Vous êtes, c’est incontestable, aimés de beaucoup de téléspectateurs. Mais la société française meurt de paraître si figée sur ses écrans cathodiques. La télévision française elle-même se meurt puisque de moins en moins de jeunes la regardent*.

Puisque vous êtes vus par des millions de gens, montrez l’exemple ! Transmettez le flambeau. Bien sûr que nous prenions du plaisir à retrouver les mêmes têtes sur cet écran toujours plus plat, et à l’image toujours mieux définie. Mais donnez-nous moins de plaisir et plus de confiance en l’avenir. Ne nous faites pas croire, par la simple itération de votre présence, lustre après lustre, décennie après décennie, que rien ne change en France. Ne nous faites pas tomber dans ce piège malheureux, dans cette illusion défaitiste. C’est justement parce que notre société change, qu’il faut que les visages télévisés changent. Allez ! Soyez plus responsables que nos hommes politiques. Et, qui sait ?, ce rajeunissement des présentateurs à la télévision française sera peut-être le signal envoyé à tous d’un désir accompli de renouvellement. On verra bien, alors, ce qui se passera dans le pays. Si les vedettes de notre télévision avaient 50 ans, au lieu d’en avoir 70, quelle révolution ce serait ! Vingt ans de moins : cela changerait bien des références culturelles, et l’on découvrirait par la même occasion de nouveaux artistes, de nouveaux talents. Certains le savent et le disent. Ecoutez Jean-Pierre Foucault, quand il déclare sagement à Paris Match : « Une danseuse étoile ne peut pas danser jusqu’à la retraite. A un moment, ça rouille. C’est pareil pour moi. J’ai 65 ans. Je n’ai pas les mêmes capacités de travail qu’il y a dix ans. Comme je ne peux pas monopoliser l’antenne en permanence, il faut avoir la générosité de laisser sa place. »

SOYEZ GÉNÉREUX !

Vos sourcils se froncent, et vous demandez un autre exemple, international ? Eh bien, David Letterman, le présentateur américain du « Late Show », sur NBC et puis sur CBS. Soixante-sept ans, et autant de sélections pour le trophée Emmy ! Trente-cinq ans de carrière ! Treize millions de spectateurs en moyenne ! Lui aussi aurait pu se glorifier de ces chiffres, et garder jalousement son émission. Eh bien, non : l’an dernier, il annonça qu’il partait de lui-même à la retraite, et il s’enfuit tout sourire loin des caméras. Il ne dit aucun mal de son successeur, Stephen Colbert, 51 ans. Et le « Late Show » cartonne encore. Mesdames et messieurs les Vedettes de la télévision française, vous qui regardez toujours avec la plus grande admiration ce qui se fait aux Etats-Unis, soyez enfin cohérents avec vous-mêmes, et soyez aussi généreux que David Letterman. Et alors vous verrez : on ne vous aimera que davantage.

* Entre mars 2014 et mars 2015, le temps passé devant la télé par les jeunes âgés de 15 à 34 ans est passé de deux heures trente minutes à deux heures vingt minutes : soit dix minutes de temps télé quotidien en moins. Une tendance qui touche aussi les 4-14 ans, qui voient leur temps télé reculer de douze minutes en moyenne d’une année sur l’autre.

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