Espagne : le dilemme du PS espagnol

C’est une semaine à risque pour le patron des socialistes espagnols. Alors que s’ouvre aujourd’hui un nouveau tour de discussion pour réussir à former un gouvernement, Pedro Sánchez, le chef de file du PSOE, se retrouve face à un dilemme idéologique et stratégique.

« C’est le plus grand dilemme auquel fait face le PSOE depuis qu’il a décidé l’abandon du marxisme en 1979« . C’est par cette formule que le journaliste Enric Juliana, dans une chronique parue ce lundi dans le journal La Vanguardia, résume la situation dans laquelle se trouve le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Alors que le roi Felipe VI ouvre un nouveau tour de discussion, ce mercredi, avec les quatre grands partis politiques, pour trouver une issue à la crise gouvernementale que connait l’Espagne depuis les dernières élections, les socialistes emmenés par Pedro Sánchez se retrouvent à la croisée des chemins. Deux voies possibles s’offrent à eux. Suivre celle tracée par José Luis Rodríguez Zapatero et accompagner des réformes austéritaires ou incarner une alternative de gauche.

Conséquence des élections générales du 20 décembre dernier, le paysage politique espagnol a radicalement évolué. Le biparatisme ronronnant a volé en éclat avec la percée de Podemos qui a obtenu 69 députés juste derrière le PSOE (90 députés) ainsi que Ciudadanos, parti de centre-droit, qui a conquis 40 sièges au parlement. Le Parti Populaire (PP) de Mariano Rajoy, qui gouvernait depuis 2011, avec 123 députés – son plus mauvais score depuis 1993 – a perdu sa majorité absolue. « L’Espagne fait tomber le bipartisme et laisse le gouvernement en suspens », titrait ainsi El Mundo le lundi suivant les résultats. Car aucun des grands partis n’a pu obtenir de majorité suffisante de 176 députés pour espérer gouverner seul. Ne reste que l’option de former une coalition qui jusque-là n’a pas trouvé de débouché. Vendredi, le chef de file des conservateurs, Mario Rajoy, a donc annoncé qu’il jetait l’éponge – provisoirement –  pour former un gouvernement. Un vide qui met le PSOE et son leader, Pedro Sánchez, dans une position délicate du point de vue idéologique et stratégique. S’allier à Podemos pour incarner le changement ou rentrer dans une grande coalition allant de la droite à la gauche ?

A la tête du PSOE depuis le 26 juillet 2014, Pedro Sánchez, qui avait créé la surprise, a rapidement détoné par son style et sa volonté affichée de donner un coup de barre à gauche et faire oublier les années Zapatero. Car si le premier mandat de ce dernier a porté plusieurs réformes dites « progressistes » – régularisation de 600 000 sans-papiers, légalisation du mariage homosexuel dans un pays très catholicique ou vote d’une loi réhabilitant les victimes de la guerre civile espagnole – son deuxième mandat s’est retrouvé, lui, marqué du sceaux de l’austérité. Une politique de rigueur économique qui sera à l’origine d’un éclatement du « peuple de gauche » espagnol, verra naître les « Indignés » de la Puerta del Sol et sa traduction politique, la formation Podemos.

En réponse, plutôt que Zapatero donc, Sánchez lui préfère Felipe González, figure tutélaire du PSOE – il en fût le secrétaire général de 1974 à 1997 – et président du gouvernement pendant 13 ans, pour s’inscrire dans les pas de cette figure tutélaire de la gauche espagnole. L’ un de ses coups d’éclat, à contre-courant de sociaux-démocrates européens, sera par exemple d’appeler la délégation des députés européens du PSOE  à voter contre la commission de Jean-Claude Juncker. Trop conservatrice à son goût. « Nous devrions mettre l’accent sur les politiques européennes relatives à la création d’emploi et devrions abandonner ces politiques d’austérité qui nous causent tant de tort », justifiait-il. Une trajectoire qui, dans le cadre des discussions autour de possibles coalitions entamées depuis ce vendredi, devrait logiquement le mener à s’entendre avec la formation Podemos. Mais les évidences sont souvent trompeuses.

Entre le PSOE ET Podemos, un obstacle de taille : la Catalogne.

Car au sein de son parti, Pedro Sánchez ne compte pas que des amis. Notamment une vielle garde de barons qui se tient en embuscade, prête à dégainer au premier faux pas. Une haine tenace qui trouve son origine dans la composition de la commission exécutive fédérale du parti pas assez représentative à leur goût. Or, entre le PSOE et Podemos, existe un obstacle de taille qui pourrait bien servir de prétexte pour les adversaires de Sánchez : la question de l’indépendance de la Catalogne. Podemos défendant l’idée d’une auto-détermination, au même titre que les partis indépendantistes et régionalistes sans lesquels une majorité ne pourrait se faire. Pour le chef de file de Podemos, Pablo Iglesias, la question est importante, sa formation ayant réalisé ses meilleures scores sur les terres catalanes. Mais pour le PSOE, pas question de mettre sur la table une quelconque remise en cause de l’unité de l’Espagne. Ce pourrait être là, la cartouche tant attendue par les barons pour régler son compte à Sánchez.

Le secrétaire du PSOE se retrouve donc dans une position d’équilibriste et n’est pas franchement aidé par la tête d’affiche de Podemos. En effet, dès vendredi, Pablo Iglesias a proposé publiquement à Sánchez de former une grande coalition, lançant le début des hostilités. Or, Rajoy comme Sánchez parient sur l’échec du camp adverse à former une coalition. L’annonce d’Iglesias tombait donc particulièrement mal car, dans cette partie de poker où le premier qui se découvre peut perdre la mise, il oblige Pedro Sánchez à montrer son jeu avant les conservateurs. Ce qui explique l’empressement du leader socialiste à renvoyer la balle à Podemos, arguant que l’exigence du parti – obtention de la vice-présidence pour Iglesias, quatre ministères importants pour Podemos, l’entrée de petites formations dans le gouvernement – et le ton employé relèvent du « chantage » plutôt que d’une proposition en bonne et due forme.

Côté Ciudadanos, la porte a tout grand gouvernement de gauche a rapidement été fermée, en faisant savoir qu’on envisageait pour rien au monde de gouverner avec Podemos, « Nous ne voulons pas mettre l’économie espagnole entre les mains de Podemos, qui suit les modèles de la Grèce et du Venezuela », a déclaré leur chef de file Albert Rivera. Selon El Pais, ce dernier serait d’ailleurs en bonne discussion avec Mario Rajoy. Mais même si le PP et Ciudadanos s’entendaient, ils n’auraient toujours pas de majorité suffisante.  

Pedro Sánchez se retrouve donc avec un éventail de choix limités. Soit tenter de remettre le PSOE sur la voie de l’alternative de gauche en formant une coalition minoritaire avec Podemos – Ciudadanos ayant indiqué être prêt à s’abstenir lors du vote de confiance. Ce gouvernement fragile marquerait une vraie rupture avec les dix dernières années, un pari sur l’avenir. Soit, sous le poids des barons, accepter finalement la proposition d’une grande coalition PP-Ciudadanos-PSOE que défend Mario Rajoy depuis le soir des résultats des élections générales, faisant de nouveau du leader du PP l’homme fort du pays et risquant de voir son parti suivre le même chemin que le Pasok grec. L’austérité coûte cher aux partis, particulièrement lorsqu’elle est menée par ceux se revendiquant de la social-démocratie.

Si aucun gouvernement n’est formé dans les deux mois après la désignation par le roi Felipe VI d’un candidat à la présidence du gouvernement, les électeurs seront de nouveau appeler à s’exprimer dans les urnes. Un scrutin qui pourrait voir alors reculer de manière encore plus importante le PSOE. 

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