La primaire des écolos

A supposer même qu’une primaire à gauche puisse se tenir, comment pourrait-elle aboutir au résultat recherché ?

Je ne voudrais pas jouer les rabat-joie, ni les oiseaux de mauvais augure, mais j’ai beau tourner et retourner depuis huit jours cette idée dans ma tête, je ne vois vraiment pas comment cette primaire à gauche pourrait avoir lieu. A supposer même qu’elle puisse se tenir, je ne parviens pas à imaginer comment elle pourrait aboutir au résultat recherché : la désignation d’un candidat unique de la gauche pour le premier tour de la présidentielle de 2017. Comme une bonne partie de la gauche politique et intellectuelle me paraît depuis un an en état de rêve éveillé, je crois devoir contribuer, avec mes faibles moyens, à la tirer de cet état de somnambulisme dans lequel elle se complaît.

Du reste, je ne suis pas seul de mon avis. Si les initiateurs de la proposition avaient eu vraiment pour objectif de la mener à bon port, ils s’y seraient pris autrement. Quand on veut rapprocher deux parties en désaccord, on évite au préalable de tomber à bras raccourcis sur l’une d’entre elles. A défaut de justice, c’est affaire de psychologie.

Or, l’appel des pétitionnaires est un réquisitoire impitoyable contre François Hollande et sa politique. Je ne me prononce pas ici sur la légitimité de ce réquisitoire, mais sur son opportunité, compte tenu du but visé. Qu’il s’agisse de l’immigration, et notamment de cette fichue déchéance de nationalité, ou, plus fondamentalement, de la politique économique et sociale du gouvernement, c’est une volée de bois vert qui s’abat sur lui. On a bien le droit, en démocratie, de rosser le commissaire, mais c’est beaucoup lui demander que de le prier en plus de dire merci.

Telle était ma première objection, purement factuelle, on le voit. La seconde ne l’est pas moins. Deux hommes occupent une place prépondérante sur l’échiquier de la gauche : François Hollande parce qu’il sera le président sortant. L’autre, c’est Jean-Luc Mélenchon, qui non seulement a obtenu 11 % des suffrages en 2012, mais qui est crédité d’un chiffre à peu près semblable dans les sondages pour 2017. Or, François Hollande, à moins de sombrer dans un noir masochisme, ne saurait abandonner l’avantage qu’il a au départ sur ses rivaux potentiels. Pourquoi le ferait-il ? Quant à Jean-Luc Mélenchon, il a déjà annoncé qu’il ne se soumettrait pas à une primaire qui désignerait de nouveau François Hollande comme candidat de la gauche. De plus, il n’a nullement l’intention de renoncer à son propre avantage positionnel au sein du Front de gauche : car, si le Parti communiste a les électeurs, c’est lui qui a les suffrages ! On comprend, certes, que les communistes voient là une occasion inespérée de se débarrasser de l’Irrépressible qui depuis quatre ans leur colle à la peau comme le sparadrap du capitaine Haddock ; mais qu’ils ne comptent pas sur lui pour leur faciliter la tâche.

Alors, faisons les comptes. La majorité du PS est contre cette primaire ; les frondeurs sont bien embarrassés et leur fronde ressemble de plus en plus à un sabre de bois. Le Front de gauche se neutralise lui-même. Il ne reste plus en somme que les écolos pour trouver là une occasion rêvée de trancher leurs débats internes. Je rappelle que la Sémillante elle-même, je parle, bien sûr, de Cécile Duflot, n’est pas créditée dans les sondages d’un score meilleur que l’Intempestive, Eva Joly, d’heureuse mémoire : 3 % des suffrages. Tout ça pour ça !

Seule une grande réforme intellectuelle et morale pourrait sauver la gauche.

Je n’oublie pas, certes, que 72 % des électeurs potentiels de gauche se déclarent favorables à une telle primaire. Ce serait un argument décisif si la gauche existait encore. Malheureusement, c’est aujourd’hui un concept de la raison pure plutôt qu’une réalité politique. Et, quand je parle de raison pure, je me force un peu. Le fait est que l’électorat de gauche, qu’il s’agisse d’économie ou d’immigration, les deux grands sujets de la période, est aussi divisé que ses dirigeants. Les uns, derrière Hollande, sont pour une politique économique de l’offre, quand les autres, derrière l’opposition de gauche, sont pour une politique de la demande. Les premiers donnent la priorité à la sécurité ; les seconds aux droits de l’homme. Je note toutefois que, sur les deux sujets, les options de Hollande empiètent largement sur les terres de ses adversaires. Ne nous y trompons pas : ce que l’électorat de gauche reproche à Hollande, ce n’est pas la nature de sa politique, c’est son échec à la mettre en œuvre. Enfin, les dernières élections régionales ont montré qu’à l’intérieur de la gauche le rapport des forces n’évolue pas : la gauche n’est plus qu’un gros tiers de l’électorat et la gauche radicale un petit tiers de la gauche entière.

C’est un grand malheur pour elle que, comme aux temps de la guerre froide, les clivages politiques et économiques essentiels passent en son sein même, la divisant plus cruellement que n’importe quelle autre partie de l’électorat français. Seule une grande réforme intellectuelle et morale, faite à la fois de réalisme et d’imagination, pourrait la tirer de cette passe périlleuse, et non une primaire qui suppose le problème résolu. Disons-le nettement : il ne suffit pas d’entonner «Allons-z-enfants» pour sauver la patrie.

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