Le projet de loi numérique discuté ce mardi 19 janvier en première lecture à l’Assemblée nationale s’attache notamment à encadrer les pratiques des grandes plateformes numériques. Suffisant pour mettre fin à de mauvaises habitudes déjà très ancrées ? Voir.
Commentaires nuisibles postés librement par un aigrefin, droit du travail bafoué dans les entrepôts de stockage, hôteliers pris à la gorge par un système de référencement et de réservation quasi monopolistique, moteur de recherche entretenant savamment la confusion entre publicité et contenu naturel, travailleurs indépendants embauchés sans couverture sociale : les errements des géants du numériques sont aussi nombreux que les babioles vendues sur Amazon. Booking, Über, Google, TripAdvisor et les autres ont su exploiter les failles d’une législation en décalage avec la révolution numérique pour imposer leurs normes, parfois au mépris de la loi. C’est un nouveau texte, en discussion à partir de ce 19 janvier à l’Assemblée, qui va tenter d’imposer des balises efficaces aux pros du HTML. Reste à composer avec une état de fait désormais bien ancré dans le paysage économique et des lobbies efficaces.
« Certains affichent une non-transparence évidente de leurs pratiques. »
Les articles 22 à 25 du projet de loi sont particulièrement dans le viseur des géants du web. Et pour cause : ils ont pour but d’encadrer enfin les pratiques d’un secteur parfois proche de l’auto-gestion. « On ne peut pas considérer du tout que ces acteurs respectent les règles actuellement, confirme la députée apparentée écologiste Isabelle Attard, qui a déposé 66 amendements au texte de loi. Certains affichent une non-transparence évidente de leurs pratiques ». La vérification de la fiabilité des commentaires, notamment, est pointée du doigt par l’élue : « Nous l’avons testé nous-mêmes sur TripAdvisor tout récemment : ce n’est pas fait ». En clair, n’importe qui peut écrire n’importe quoi, ou presque. Contactée, la direction française du site américain n’a pas encore répondu à nos questions.
D’autres regrettent que le texte tel qu’il est présenté aujourd’hui aux députés soit si « light » sur la régulation des géants du web. C’est le cas de Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique (CNNum), qui avait porté un dispositif de « neutralité » et de « loyauté des plateformes » largement raboté dans le texte actuel. Ce principe de loyauté veut inciter les grands acteurs du web à détailler leurs procédures, souvent opaques, pour garantir aux usagers la maîtrise des informations les concernant. Par exemple, pour quelle raison tel hôtel n’est référencé qu’en deuxième page de Google, ou pourquoi une suppression de compte Facebook n’efface pas définitivement les données des serveurs. Mais « la loyauté de plateformes mérite mieux qu’une simple nécessité d’information : on a besoin de moyens pour suivre, analyser, mesurer, quantifier ces pratiques : algorithme, ergonomie, API », estime le fondateur de la Netscouade. Des considérations techniques responsables, in fine, « de pratiques problématiques en terme de concurrence, de protection sociale, ou d’équité ». Ces pratiques évoluent par ailleurs si vite qu’elles nécessitent un travail d’experts permanent, capables d’analyser les données en temps réel et sur la durée.
Le patron du CNNum se dit favorable à la « création d’une agence d’évaluation des plateformes qui éclairerait les angles morts de ces pratiques », à la manière des agences de notation financière. Sans contrainte purement légale, avec l’idée de prendre les plateformes à leur propre jeu des avis comme juge de paix. « Dans une économie réputationnelle, de tels avis permettraient une régulation forte par les acteurs, y compris les usagers, estime Benoît Thieulin. La plupart des plateformes auraient à y gagner : la transparence sur ces agissements montreraient certainement que dans bien des cas, leur comportement est loyal ». Isabelle Attard appelle également les plateformes à « se prendre en main, sans attendre une loi ».
« Rien n’a été édulcoré. Au contraire. »
Manière de dire qu’à l’ère du tout numérique, le législateur n’a plus vraiment la maîtrise du cadre ? Pas du tout, répond le cabinet de la secrétaire d’État chargée du numérique Axelle Lemaire : « Bien sûr, l’État a le pouvoir d’agir ! Dans ce projet de loi, la Cnil a par exemple déposé un amendement -bien reçu par le gouvernement- faisant passer l’amende pour non respect des données personnelles de 150 000 euros d’amende à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires de l’entreprise ». Quant aux articles sur la loyauté des plateformes, « rien n’a été édulcoré. Au contraire, nous avons étendu aux moteurs de recherche ce qui était destiné à l’orgine aux seuls site de commerce en ligne ». Dans l’entourage de la secrétaire d’État, on avoue une ambition : « Encadrer pour ouvrir le marché numérique aux nouveaux entrants et garantir le lien de confiance avec les consommateurs, mais sans freiner le développement de l’économie collaborative qui offre du boulot à des gens qui n’en trouvent pas ». Difficile équilibre.
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