Dans un climat très révérencieux face à la parole du Premier ministre, il a fallu que l’humoriste Jérémy Ferrari prenne la parole pour que l’heure trente d’interview de Manuel Valls dans « On n’est pas couché » soit un peu ébranlée. Pour le reste, et de façon classique, le Premier ministre a assuré son rôle de défenseur de la politique du gouvernement.
Ce dimanche matin, le Figaro et l’Obs ne sont pas d’accord. Ce n’est pas une surprise mais tout de même, il est amusant de lire l’interprétation contradictoire des médias sur la prestation du Premier ministre dans le talk-show de Laurent Ruquier, « On n’est pas couché ». Pour le premier, ce fut « un exercice laborieux ». Pour le second, une « promenade chez les people ». Alors qui croire ? Pendant plus d’une heure et demie, Manuel Valls a déroulé ses explications dans un exercice maîtrisé, ne déviant pas de son discours habituel, essayant d’être pédagogique et démontrant à quel point son rôle, sous la Ve République, est d’assurer la « communication » du président auquel il est irréductiblement lié. Une communication que rien n’a ébranlée jusqu’à 1h45 du matin, heure de l’intervention de Jérémy Ferrari, humoriste de profession.
Avant cela, du très habituel. Les propos de Valls sur la déchéance de nationalité en ont été la preuve ; et c’est d’ailleurs sur ce sujet qu’a porté la majeure partie de l’entretien: « Il ne s’agit pas de cibler les bi-nationaux, il ne s’agit pas de mettre en cause ceux qui ont une ou deux autres nationalités, il s’agit de cibler des hommes et des femmes qui tuent », a-t-il affirmé. L’inscription de cette réforme contestée dans la Constitution a été annoncée par François Hollande au Congrès de Versailles, qui en a fait le « serment » le 16 novembre dernier. C’est donc à Manuel Valls d’assurer le service après-vente, qui accouche d’un débat douloureux – c’est le moins qu’on puisse dire ! – ces dernières semaines.
Le Premier ministre s’est au passage payé Christiane Taubira, qui a évoqué une remise en question du droit du sol : « Je crois qu’elle se trompe (…) Je ne crois pas qu’on touche au symbole de l’égalité, je ne crois pas qu’on touche au droit du sol, je ne crois pas qu’on touche à la binationalité. (…) Ce choix que nous avons fait, c’est pour s’adresser à ceux qui tuent les Français, qui déchirent symboliquement leur passeport, qui veulent s’attaquer à notre liberté d’expression, à notre police, à notre jeunesse. » Quant à la place de la ministre de la Justice du gouvernement, Manuel Valls a balayé l’hypothèse d’un départ: « Chacun a sa sensibilité, ses convictions, on les défend, c’est normal. »
Même si la mesure de déchéance de nationalité est « symbolique », donc, elle a fait tiquer Jean d’Ormesson, également présent sur le plateau : « Quelques fois je me demande s’il n’y a pas une ombre d’enfumage. » Manuel Valls a donc enfoncé le clou en expliquant à quel point, aujourd’hui comme hier, en politique, « les symboles ont leur importance. » Et en refusant l’étiquette de « droitisation » accolée par l’Académicien : « Que la gauche parle de sécurité, ce n’est pas un problème de droitisation. » Jusqu’ici, rien de bien original. Cela fait longtemps que l’ancien député d’Évry plaide pour de telles mesures sécuritaires quitte à fâcher son propre camp.
Rien de bien saillant non plus sur le chômage et la politique menée par le gouvernement: « Moi je pense que notre politique, c’est la bonne (…) Il y a une force dans notre économie. Arrêtons de parler de la France comme si c’était l’Albanie il y a 30 ans ! » Ou encore sur la primaire à gauche, qui agite son propre camp. Manuel Valls a logiquement réaffirmé que François Hollande était le « candidat naturel » de la gauche en 2017.
Le plus original dans cette soirée fut donc finalement l’intervention de l’humoriste Jérémy Ferrari – une intervention vendue par la production avant même la diffusion de l’émission enregistrée le jeudi. Rentrant dans le rôle du citoyen qui « n’y connaît rien » mais veut parler avec ses tripes, le jeune homme a lancé à Manuel Valls : « Vous, vous êtes en guerre, votre gouvernement est en guerre, nous on est pas en guerre ! Nous, on se fait tirer dessus quand on va voir des concerts. Y’a des gens ici qu’on des Kalachnikov, des armes sur eux ? Y’a des gens qui veulent tuer des musulmans ici ? Personne ! », a-t-il lancé, en prenant le public à partie et en critiquant les décisions du gouvernement qui a choisi la guerre, en Syrie, au Mali ou en Libye.
Quelques secondes avant, il se lançait dans cette diatribe : « Je ne suis pas politologue, je ne suis pas historien, mais moi je ne suis pas d’accord avec vous ! Vous avez parlé de la mort de ceux qui préfèrent mourir que vivre. Déjà, renseignez-vous sur ce qu’on propose à ces djihadistes parce que pour eux, ils ne meurent pas, ils vivent une autre vie, après la mort, qui est meilleure que celle que leur offre la France. Vous pensez que c’est un détail mais ça n’est pas du tout un détail. »
Difficile d’expliquer, en quelques minutes, des défis aussi complexes sur un plateau de télévision. Manuel Valls s’y est essayé. Mais face à un humoriste qui parle avec son cœur et ses tripes, le combat était perdu d’avance. Jérémy Ferrari a remporté la prestation médiatique, tout comme Daniel Balavoine l’avait emporté trente ans plus tôt face à François Mitterrand. À ceci près qu’à l’époque, le leader socialiste n’était pas encore aux responsabilités…
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