Le relativisme, voilà l'ennemi !

L’intellectuel Carlo Strenger fait montre d’une irrévérence voltairienne en nommant le mal qui ronge le « monde libre » dans son nouveau livre, « le Mépris civilisé ».

L’essayiste Carlo Strenger va-t-il être expulsé dans le purgatoire des infréquentables ? Cet intellectuel israélo-suisse pourrait subir une telle sanction, au vu de l’irrévérence voltairienne dont fait montre le Mépris civilisé, son nouveau livre. Prolongeant et actualisant des réflexions qui ont fait grand bruit dans les années 80 (notamment l’Ame désarmée, d’Allan Bloom, et la Défaite de la pensée, d’Alain Finkielkraut), Strenger nomme le mal qui ronge le «monde libre» : le relativisme. Le relativisme ? Oui, c’est-à-dire cette pléiade d’attitudes, de réflexes et d’impensés qui empêchent les sociétés démocratiques de «défendre [leurs] valeurs fondamentales». Le relativisme ? Oui, ces illusions qui, pour user d’une autre de ses formules, conduisent les démocrates à «marquer contre leur camp».

Inutile de souligner la brûlante actualité d’une telle démarche, au terme d’une année marquée par l’intensification de la terreur exercée par l’Etat islamique. Le livre de Strenger réarme nos intelligences face à cette mégamenace. Et il le fait en soldant quatre décennies d’aveuglement. Pis : de suicide. Selon lui, «le grand malaise qui prévaut en Occident, et qui se manifeste par la montée des partis de droite, […] tient au fait que la plupart des Européens ne sont plus en mesure, pour défendre leur culture, de présenter des arguments solides allant au-delà de la simple efficacité de leurs économies et de la paix politique et sociale». Ce malaise dans la civilisation new-look prend la forme d’un doute paralysant et d’un renoncement à soi. L’un des indices les plus frappants de cette démission reste la difficulté de nombreux responsables publics à désigner l’islamisme comme l’ennemi. Elisabeth Badinter, qui n’a pas peur de nommer l’adversaire par son nom, a ainsi subi, la semaine dernière, une injuste polémique.

Mais la démarche de Strenger tient à sa profondeur de perspective ; elle réside, autrement dit, dans ce que les nietzschéens appelleraient une généalogie du politiquement correct. Nourri de Lévi-Strauss et déployé sur les campus américains en réaction aux abjections de la domination coloniale, l’exercice du relativisme, de pratique légitime et valorisée par la gauche, s’est mué en arme de destruction massive de toute hiérarchie, de toute distinction. Sous prétexte de ne froisser personne, on en est venu à refuser «l’idée qu’une messe de Bach en la mineur puisse avoir davantage de valeur qu’une chanson pop». Strenger est un savant sans agenda politique, bien sûr ; mais, si un homme politique devait s’inspirer de son livre, ce serait pour dissiper la nuit du «tout se vaut» et œuvrer au réveil – enfin ! – du projet d’émancipation des Lumières.

>> Le Mépris civilisé, de Carlo Strenger, Belfond, 176 p., 14 €.

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