Déchéance de nationalité : la force du symbole

La déchéance de nationalité ? Cela ne sert à rien, c’est purement symbolique ! entend-on. Comme si toute civilisation n’était pas fondée sur des symboles, sur des actes et des œuvres symboliques.

La déchéance de nationalité ? Cela ne sert à rien, c’est purement symbolique ! Voilà ce que j’entends dire tous les jours, à droite comme à gauche, non dans le peuple, mais à l’intérieur des élites, qui ont parfois des QI énormes, et des cerveaux gros comme des petits pois.

Comme si toute civilisation n’était pas fondée sur des symboles, sur des actes et des œuvres symboliques ! Faut-il que l’homme occidental, sous ses deux espèces complémentaires, celle du capitaliste de droite et celle de l’intellectuel de gauche, ait à ce point perdu le contact avec les forces de l’esprit et les exigences de la morale, pour proclamer l’équivalence de ces deux formules : «C’est purement symbolique !» ; «Cela ne sert à rien !». Comme si une civilisation qui renonce à son activité symbolique n’était pas à court terme condamnée à mort !

Après cela, étonnez-vous qu’un nombre croissant de jeunes musulmans, confrontés à cette terre promise, faite de collines de foie gras, de montagnes de téléviseurs et de pyramides de sexes mélangés finissent par leur préférer les duretés de la vie djihadiste et l’horreur de la mort kamikaze. Ils acceptent volontiers, dans une sorte d’apocalypse hallucinatoire, de s’éparpiller eux-mêmes façon puzzle parce qu’ils sont persuadés que c’est nous qui sommes des débris humains.

Et même des animaux dénaturés. Qu’est-ce que l’homme, sinon un animal symbolique ? Un être qui renonce à sa nation et à son drapeau, à son histoire et à son imaginaire, à son sexe et à son désir de l’autre – car c’est bien l’homme que l’on est en train de nous fabriquer, n’est-ce pas ? – est un être sans qualités et sans identité, un individu sans symbolique, un mutant vers quelque chose d’indéfini qui n’a de nom dans aucune langue.

Des exemples ? Il en pleut comme à Gravelotte. Prenez le sport. Le sport est une activité purement symbolique. En conséquence, il ne sert à rien, comme diraient les crétins du balcon. Or c’est justement parce qu’il ne «sert à rien» qu’il est capable d’unir les hommes et de les pousser à se dépasser eux-mêmes. Et à l’occasion de créer de la beauté, encore un truc qui ne sert à rien. On a connu des Tours de France qui ressemblaient à des symphonies de Beethoven, des matches de rugby qui faisaient penser à la bataille de Reichshoffen. Or aujourd’hui que le sport sert à quelque chose, nommément à faire du fric, il a perdu toute valeur sociale. Imaginez que demain l’équipe de France de foot accueille en son sein un Ribéry, un Benzema : c’est tout ce sport qui s’en trouverait déshonoré, comme sont déshonorés pour d’autres raisons le cyclisme ou l’athlétisme.

Prenez l’école : c’est encore pire. Depuis qu’elle a renoncé à toute fonction symbolique, elle ne sert plus à grand-chose, sauf à un étalonnage social injuste et aléatoire. Jadis, elle vivait en symbiose avec la littérature, activité symbolique par excellence. Les Fables de La Fontaine sont tout entières symboliques, comme l’est la Légende des siècles. Claudel a très bien exprimé cela : «Tout ce qui existe est symbole, tout ce qui arrive est parabole. La nature n’est pas illusion, mais allusion.» A quoi l’on a substitué le code de la route et le tri sélectif des ordures ménagères. Le résultat est un désastre anthropologique sans précédent.

Voyez encore la misère symbolique des feuilletons modernes. Il n’y est question que de dragons, de magiciens, de filles à poil sous leur cuirasse. C’est tout l’imaginaire moderne qui a sombré dans le dérisoire et l’insignifiant.

«La nature spirituelle de l’homme, écrit Abdennour Bidar, a horreur du vide et, si elle ne trouve rien de nouveau pour le remplir, elle le fera avec des religions de plus en plus inadaptées au présent – qui comme l’islam actuellement se mettront à produire des monstres.»

Un individu peut parfaitement vivre sans croyance, mais non une société. C’est ce qu’ont pensé des hommes aussi différents que Rousseau, Benjamin Constant, Tocqueville ou Renan. Or les symboles ne sont pas autre chose que des croyances collectives. Cela est si vrai que le Credo, le résumé des croyances dans la foi catholique, se nomme Symbole des apôtres.

Quand les Français ont senti leur pays menacé dans son être même par les attentats, c’est à travers des symboles qu’ils ont voulu réaffirmer son identité : la Marseillaise, le drapeau tricolore, la place de la République. Il en va de même de la déchéance de nationalité : c’est dire que celle-ci n’est pas que l’application mécanique des lois du sang ou du sol, mais une valeur partagée, dont on peut se montrer indigne. Aucune argumentation juridique ne convaincra le pays qu’un Français qui tourne ses armes contre la France est digne de le demeurer. En revanche, je n’ai toujours pas compris pourquoi François Hollande voulait, une fois encore, réformer la Constitution. S’il y a quelque chose d’inutile dans sa démarche, c’est bien cela. La nationalité n’est pas qu’un caractère inné ou un facteur Rhésus : c’est aussi une façon de vivre, de penser, de sentir. Il est tout de même curieux que cette gauche intellectuelle qui n’avait pas hier assez de sarcasmes contre le sentiment national et qui défend d’ordinaire une conception volontariste de la nation, s’érige aujourd’hui en gardienne sourcilleuse d’une nationalité indélébile. Mais quoi… Il y a si longtemps que cette gauche a rompu avec le peuple et l’a abandonné à d’autres…

Powered by WPeMatico

This Post Has 0 Comments

Leave A Reply