Elections : quand les recours en annulation virent à la combine politique

Les nouveaux présidents des régions Ile-de-France et Paca, Valérie Pécresse et Christian Estrosi, ont repoussé l’abandon annoncé de leurs mandats de député, dans l’attente de décisions du Conseil d’État sur des recours portant sur les élections. Un procédé juridique qui cache parfois de sacrés tours de passe-passe…

L’élection de Valérie Pécresse à la présidence de la région Ile-de-France mise en cause par le recours d’un élu socialiste municipal dénonçant l’irrégularité des bulletins de vote imprimés par le candidat FN. Puis celle de Christian Estrosi à la tête de la Paca contestée par le recours d’un citoyen lambda. A première vue, ce type de procédure peut paraître dérisoire. Alors que pour les intéressés, cela peut s’avérer être… une aubaine !

Pour Valérie Pécresse et Christian Estrosi, ces recours ont en effet servi une excuse sur un plateau pour… continuer à cumuler leurs mandats. Tous deux députés, ces élus Les Républicains (LR) avaient en effet promis au cours de leur campagne de démissionner, même si la loi ne leur imposait pas, de l’Assemblée nationale s’ils gagnaient les régionales. Leur victoire désormais acquise, ils viennent pourtant de suspendre l’exécution de leur promesse à la décision du Conseil d’Etat, chargé de traiter ces recours.

Les deux élus pourraient donc conserver leur siège à l’Assemblée jusqu’en 2017
Mais dans les circonstances actuelles, ce simple report peut rapidement devenir définitif. En effet, comme l’a relevé Le Figaro, le code électoral interdit toute « élection partielle dans les douze mois qui précèdent l’expiration des pouvoirs de l’Assemblée nationale ». Les prochaines législatives étant prévues pour juin 2017, Valérie Pécresse et Christian Estrosi ne pourront plus démissionner à partir de juin 2016. Les recours en question ayant été déposés fin décembre et le délai moyen de jugement au Conseil d’Etat étant de huit mois, les deux élus pourraient donc conserver leur siège à l’Assemblée… jusqu’en 2017.

Là où l’aubaine peut virer à la combine, c’est quand les recours sont introduits dans le but même de retarder l’échéance. Et ce, parfois, par les intéressés eux-mêmes ! Le principe est machiavélique mais simple : un élu fait déposer un recours devant le Conseil d’Etat, en étant sûr que le motif de recours ne sera pas suffisant pour faire invalider son élection, de manière à conserver le plus longtemps possible les mandats qu’il cumule. La loi impose en effet qu’un parlementaire ne peut exercer plus d’un mandat exécutif local. De l’avis de plusieurs élus contactés par Marianne, de droite comme de gauche, « la pratique est courante, dans les deux camps, après chaque élection : cela permet de temporiser avant d’avoir à choisir entre plusieurs mandats ». « Parfois, ajoute l’un d’entre eux, les différents camps s’aident même les uns les autres ». De quoi regarder autrement ces démarches juridiques…

En Paca, justement, le camp de Marion Maréchal-Le Pen a cillé en voyant les recours introduits après les régionales. Le premier, parvenu au Conseil d’Etat dès le 17 décembre, a été déposé par un simple citoyen, Sylvain B., pour une raison protégée par le secret de l’instruction. Le second, en revanche, a été rendu public par son auteur, le député marseillais socialiste Patrick Mennucci. Pour quel motif ? « On ne reproche rien en soi à l’élection, concède son équipe auprès de Marianne, mais dans un bureau de vote du premier arrondissement, il y a eu une inversion dans le décompte des scores entre Estrosi et Castaner ». Bilan de ce manque à gagner pour le candidat du PS : « 68 ou 69 voix ». « Donc, souligne-t-on au FN, le PS dépose un recours devant le Conseil d’Etat que Christian Estrosi brandit pour garder son poste de député, et tout cela pour moins de 70 voix ! C’est bidon ! » Accusation balayée dans le camp Mennucci, tout en admettant que ce recours n’a aucune chance d’aboutir : « On ne fait pas ça pour retourner l’élection, notre but c’est que les vrais scores soient reconnus ».

En Ile-de-France, l’affaire vire carrément à la guéguerre locale
En Ile-de-France, l’affaire vire carrément à la guéguerre locale. Chez Valérie Pécresse, on se défend de toute manoeuvre en soulignant d’abord qu’elle n’est pas légalement obligé de libérer son siège de député et, surtout, qu’à la suite du recours de l’élu socialiste de Noisy-le-Sec, la présidente a simplement reporté la démission promise « en attendant le résultat de l’expertise de son avocat ». « Bizarre, pour quelqu’un qui a justement travaillé aux Conseil d’Etat », persifle un adversaire. Mais si la droite dit vrai, à qui profite le recours ? En fait, nous affirme un élu du cru qui a souhaité garder l’anonymat pour préserver la paix socialiste en Ile-de-France, c’est tout simplement son auteur, Jean-Paul Lefebvre, qui pouvait en tirer bénéfice :

« Il avait des comptes à régler avec une autre élue de sa ville, qui se trouvait en huitième position sur les liste de Bartolone aux régionales. Or, seuls les sept premiers ont eu un siège. Avec ce recours, le conseiller municipal de Noisy-le-Sec espérait empêcher Bartolone de démissionner, pour que sa rivale n’aille pas le remplacer au conseil régional ».

Contacté par Marianne, l’intéressé se défend de toute entourloupe : s’il conteste la régularité des bulletins du FN tout en reconnaissant que cela n’a guère dû influencer sur le résultat du PS, c’est parce qu’« en tant qu’élu, il est parfaitement normal de dénoncer ce genre de pratiques ». Quel bazar ! Reste qu’en attendant, tous ces recours inutiles auront – rappelons-le – au moins une conséquence bien concrète : Estrosi et Pécresse, qui avaient promis de ne pas cumuler, ainsi que tous les élus auxquels la loi impose de choisir entre leurs mandats, n’auront pas à le faire jusqu’à nouvel ordre.

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