Au cours de cette année qui s’achève, Paris a trop souvent pris les couleurs d’une capitale de la douleur. Pourtant, plus qu’Eluard, c’est Ernest Hemingway qui a raison : oui, Paris est une fête ! Cette ville a tant inspiré d’artistes qu’il faut s’en souvenir pour aller de l’avant. Nous lui devons nos plus beaux films, nos plus grands poèmes. Nos plus belles chansons.
Jambier, 45, rue Poliveau ! Jambier ! Jaaammbier !» Nous avons tous en mémoire cette tirade de Jean Gabin contre le trafiquant au marché noir dans la Traversée de Paris. Elle rendit célèbre la rue qui jouxte le Jardin des Plantes, à Paris. Sorti en 1956, le film de Claude Autant-Lara était l’adaptation de la nouvelle éponyme de Marcel Aymé, parue en 1947. Juste retour des choses, on trouve aujourd’hui à cette adresse une brasserie appelée La Traversée de Paris. Et la rue Poliveau compte au nombre de ces adresses qui sont autant un lieu littéraire qu’un endroit dans la (vraie) vie. Outre la rue Poliveau, la rue Morgue, rue fictive du quartier Saint-Roch, donna son titre à une nouvelle : Double assassinat dans la rue Morgue, publiée en 1841 par l’Américain Edgar Allan Poe, est considéré comme le texte fondateur d’un genre entier, le roman policier.
Maigret, Malaussène, Arsène Lupin, Quasimodo, Jean Valjean, Thérèse Raquin, Vidocq, Nestor Burma, Adamsberg : ces personnages fictifs sont dans nos mémoires et sortent du ventre de Paris. Laquelle a vu la quasi-totalité de ses rues apparaître dans des pages. Ainsi, la Ville lumière est-elle aussi une délicieuse invitation à flâner entre réel et imaginaire. La littérature vient habiter nos esprits, les guider, quand, traumatisés, nous voulons nous réapproprier Paris.
Le « grand monstre moderne » de la Comédie humaine est une ville-personnage colorée et vivanteAu XIXe siècle, quand le roman devint le genre majeur de la littérature, il fit de Paris sa capitale. Mais celle de Balzac, dans la Comédie humaine en tête, n’est pas celle des beaux palais ou des places somptueuses. Le Paris de Vautrin, de Goriot, de Rubempré et de Rastignac est une ville d’avant Haussmann, où les Champs-Elysées sont en pleine campagne. C’est un endroit peu sûr où, à la tombée de la nuit, on risque à tout instant l’attaque à main armée. Un dédale de venelles humides où, moyennant quelques sous, on offre aux dames de les transporter d’un trottoir à l’autre. Le « grand monstre moderne » de la Comédie humaine est une ville-personnage colorée et vivante, « une monstrueuse merveille, étonnant assemblage de mouvements, de machines, et de pensées ». Dans la veine, alors nouvelle, du roman naturaliste et social de Zola, Paris est comme les Halles centrales (le Ventre de Paris) ou le grand magasin (Au bonheur des dames) : un énorme bâtiment à structure métallique où familles et citoyens s’organisent dans le flou du monde (économique) à venir. Quant à Victor Hugo, il fit le tour de Paris aussi bien dans sa vie privée (25 adresses recensées) que dans son œuvre, où les Misérables sont une des peintures les plus connues d’un Paris qui, à l’instar du roman réaliste d’alors, demeure vu au travers de la vie des pauvres. Si le centre historique de la capitale était, avec la Madeleine, l’Opéra et Saint-Lazare, les lieux des romans de Zola, Maupassant (Bel-Ami) ou Balzac, Victor Hugo repoussa quelque peu les limites, descendant avec Jean Valjean jusqu’aux catacombes, les vraies entrailles de la capitale.
l’épicentre de la révolution surréaliste se situa à Montmartre et à PigalleLorsqu’on pense à Paris, on pense flâneries. Notamment celle de Guillaume Apollinaire le long de la Seine (« Vienne la nuit sonne l’heure/Les jours s’en vont je demeure », le Pont Mirabeau, 1912), ces Alcools (1913), ou encore ces Calligrammes, poèmes de la paix et de la guerre (1918, publication posthume) et cette tour Eiffel devenue un « idéogramme lyrique » (dixit le poète). Avant de mourir le 9 novembre 1918, de la grippe espagnole, affaibli par la blessure due à un éclat d’obus reçu sur le front de Champagne deux ans plus tôt, Apollinaire inventa le terme de « sur-réalisme », mouvement dont il fut le précurseur. Quelques années plus tard, l’épicentre de la révolution surréaliste se situa à Montmartre et à Pigalle : la place Blanche, la rue Fontaine (avec l’atelier d’André Breton au no 42), le café Radio à l’angle du boulevard de Clichy et de la rue Coustou qui était autant un bureau, un lieu d’observation quotidien et une chapelle où le mouvement accueillait les nouveaux venus. Il était alors question d’années folles, de cafés, de fêtes, de cabarets, de volutes et d’amours. C’est ce Paris-là qui fut un aimant à écrivains américains : Ernest Hemingway dans les années 20 (pour Paris est une fête), Henry Miller entre 1930 et 1940 (il écrivit Tropique du Cancer non loin du parc Montsouris), puis les beatniks dans les années 50-60 (logés rue Gît-le-Cœur dans le VIe arrondissement). C’est aussi ce Paris-là qui s’ouvrit à la contre-culture, et à toutes les littératures.
Ce Paris des faubourgs, c’est celui de Léo Malet avec son Nestor BurmaLettres des quartiers. Née Lutèce avant de s’appeler Paris, île devenue ville, capitale royale puis révolutionnaire, communarde et résistante, la ville est une ville de faubourgs. Mi-XXe, le journaliste et écrivain Henri Calet, anarchiste revendiqué, en portraiturait les habitants « à hauteur d’homme » et parlait d’elle comme d’une « vieille liaison », jusqu’à être le premier à écrire une ville expurgée de ses couches populaires pour abandonner ses petits métiers aux promoteurs immobiliers. Nous étions dans les années 50, début d’un processus qui vit la capitale devenir la ville-musée, gentrifiée, qu’elle est aujourd’hui. Ce Paris des faubourgs, c’est celui de Léo Malet avec son Nestor Burma (les Nouveaux Mystères de Paris, dont chaque énigme a pour décor un arrondissement de la capitale, l’auteur en ayant parcouru 15 quand il connut des problèmes de santé l’empêchant de poursuivre). C’est celui du commissaire Maigret, que Simenon a fait vivre entre la place des Vosges et le 132, boulevard Richard-Lenoir… à deux pas d’un Bataclan qui n’était encore ni salle de concerts, ni théâtre d’une tragédie d’un vendredi 13. Depuis, Paris n’a cessé d’être une ville de polars et de romans noirs : Daniel Pennac (la saga Malaussène), Fred Vargas (quelques opus du commissaire Adamsberg), Thierry Jonquet, Jean-François Vilar, René Belletto (Hors la loi), Frédéric Fajardie. Meurtres pour mémoire, paru à la « Série Noire » en 1983, était la toute première fiction à prouver l’ampleur du drame du 17 octobre 1961, quand la police parisienne, dirigée par Maurice Papon, laissa se noyer des Algériens ne sachant nager. Aujourd’hui, ce roman est enseigné dans les écoles de la République. Du pouvoir de la fiction à Paris, pour les balades comme pour les bagarres, et contre la barbarie.
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